Traverser Causses et rivières en bikerafting
Inspirés par The Adventures Syndicate, ça faisait un moment déjà qu’on lorgnait sur le bikerafting, cette pratique qui mêle packraft et bikepacking. Alors quand j’apprends qu’Antonin s’y exerce depuis plusieurs années, je saute sur l’occasion. On embarque les vélos et on fonce dans les Cévennes pour 3 jours d’aventures pré-confinement.
On arrive de nuit à la gare d’Alès, où Antonin viendra nous chercher pour nous emmener dans la vallée de Saint-Martin-de-Lansuscle, par de petites routes qui zigzaguent dans les feuilles rouges d’automne. Il nous accueille chez lui, dans un petit hameau caché dans la forêt. Il nous propose le programme du lendemain « on va aller tester les vélos sur les pistes du coin, monter au Signal de Ventalon, et on rentrera pour une session packraft à Florac avec un ami moniteur de Kayak, pour que vous ayez les bases. » On est bichonnés, en somme. On met les réveils à 6h, et on se couche rincés par cette journée de trajet.
Le lendemain matin, on prépare déjà les vélos quand le soleil se lève sur la vallée. On découvre alors la vue de la terrasse, les montagnes couleurs de feu, les petits hameaux perchés, les ruisseaux qui chantent. Antonin nous a préparé un parcours idéal avec un peu de dénivelé, des montées sur pistes entourées de châtaigniers, des sentiers, des anciennes voies de chemin de fer, et des petites routes en épingle. On profite d’un dernier café ouvert, on traine un peu, et il est déjà 15h quand on rentre à la maison. « Vous avez tous déjà fait du Kayak ? » Je croise le regard inquiet de Sophie : « oui, oui… enfin, sur des rivières de mémère quoi… » Robin nous emmène sur une portion de 5 km, plutôt tranquille. Il est d’un calme contagieux, apaisé, serein. Il se tourne vers nous « Regardez, le héron ! Il nous accompagne pour nous éloigner de son nid. C’est une chance de le voir comme ça. Et si vous avez vraiment de la chance, vous verrez peut-être un Martin-Pêcheur. ». Il nous apprend à lire la rivière, chacun notre tour. « Allez, on passe à droite ! ». Le courant me pousse à gauche, et je finis coincée sur une petite touffe de branches, en plein milieu. Prometteur. On finira de nuit, exténués mais heureux de cette journée. Demain, c’est le départ du petit périple. Demain, il faudra ajouter nos affaires et nos vélos démontés sur les packrafts.
Jour 1 – La Malène – Les Vignes
Le départ se joue sur la petite plage de galets de la Malène, un petit village du Parc Naturel des Cévennes. Première étape : gonfler les bateaux, démonter les vélos, les fixer, vérifier la stabilité, empaqueter nos bagages dans des dry bags. Sur cette première préparation, nous mettrons plus d’une heure et demie. Le temps de trouver les bons points de fixation, la bonne configuration des dry bags entre nos jambes. On est tous ultra-excités de commencer le périple, et on se met enfin à l’eau, bien engoncés dans nos gilets de sauvetages, goretex et casques de vélo. Nous avons 12 km de rivière jusque les Vignes, où nous attend notre gite. Antonin a choisi cette portion pour sa beauté, et parce qu’elle représente particulièrement bien les Gorges du Tarn. On est rapidement frappés par le silence qui règne sur l'eau, en particulier à cette période de l’année. « Regardez ! Un Martin-Pêcheur ! » On dirait que notre petite troupe est chanceuse. Un petit Martin-Pêcheur bleu électrique est perché sur une branche, un peu plus loin. On s’engouffre dans les Gorges, enfermés entre le Causse Méjean et le Causse Sauveterre. Je jette un regard à Nathan : il a le sourire accroché aux oreilles, et le regard qui pétille d’enthousiasme « C’est fou non ?! ».
La descente se passe tranquillement, le nez en l’air pour observer les petits hameaux perchés sur le Causse, les grottes cachées dans la falaise, les villages troglodytes, au loin. On arrive déjà dans le village des Vignes ! Tout s’est passé sans encombre et il fait un soleil radieux. On dégonfle les packrafts, on étudie la configuration du vélo… J’opte pour une fixation du bateau sur mon support caradice, un dry bag dans le harnais avant, les pales des pagaies dans le sac à dos et le gilet de sauvetage fixé sur le sac à dos. On dirait un genre de tortue ninja sur échasses, et sur deux roues. Bizarre.
Comme on a mis beaucoup moins de temps que prévu pour descendre le Tarn, on décide d’aller jeter un œil au Point Sublime, un point de vue sur les Gorges et le Causse Méjean. On grimpe doucement les plus de 500 m de D+, et on redessine émerveillés le parcours sur la rivière, puis sur les routes, ici et là. On entame la descente juste avant la tombée de la nuit, sur une petite route en épingles. C’est une belle route comme on les aime, et on descend heureux et légers. On arrive au gîte en bas pile pour l’apéro ! Quelques bières locales, un gros burger, et on se couche rôtis à 20h30.
Jour 2 – Les Vignes – Saint-Énimie – La Malène
Le ciel est bas et brumeux quand on se réveille auprès de la rivière. Un ciel qui donne envie de rester au chaud, avec son café et son croissant. On démarre doucement, encore engourdis par cette nuit réparatrice. C’est une belle montée sur une route en épingles, qui nous mène en haut du Causse Méjean. Un virage, deux, trois… et le soleil perce les nuages pour nous exploser au visage. Ou plutôt, on perce les nuages ! La vue est dingue, entre ciel, nuages et rivières, la falaise colossale qui se dresse de l’autre côté. On arrive en haut du Causse, et je lance naïvement un « c’est bon, maintenant c’est du plat ! ». Antonin rit un peu. Oups.
On quitte rapidement la route pour se lancer sur une belle piste qui suit le GR. Chargés comme des baudets, on profite de ces beaux graviers roulants et des couleurs d’automne. A l’intersection, on continue à suivre le GR qui se corse un peu : c’est un sentier qui s’engouffre entre des buissons, qui monte et qui descend. Je coince mes pagaies dans la clôture des vaches voisines. Je perds l’équilibre, je descend un peu du vélo. Marcher, c’est bien aussi. On longe un champ en jachère, pour atteindre une vue typique du Causse Méjean : une belle plaine recouverte d’herbe sèche et de petits amas de roches calcaires. Parfait pour le pic-nic ! On engloutie nos sandwichs en riant, heureux d’être là alors que le confinement vient d’être annoncé.
On repartira par les pistes, chevauchant quelques barrières, avant de retrouver la route. Une dernière petite bosse, et on descend tranquillement jusque Saint-Énimie. C’est de ce petit village médiéval que nous repartons sur les packrafts, pour descendre 12 km de rivière jusque La Malène. Cette fois, on ne mettra que 40 min pour tout harnacher sur nos embarcations. On progresse ! L’ego regonflé à bloc, je me lance dans les premières rapides en tout confiance. Crrrrrr. Excès de confiance. Je me prends le mur, emporté par le courant. Nathan fait de même. On s’arrête sur le replat, on se regarde. Ok, restons concentrés. Sur cette partie de rivière, on observe un petit hameau sans accès aux routes : un câble tendu en l’air permet de faire passer les vivres, et de petites barques attendent patiemment les habitants pour traverser. On s’arrête un peu plus loin en bas de Saint-Chély du Tarn et de son joli pont. Sophie se rapproche dangereusement d’une petite cascade, audacieux à cette période de l’année ! « Allez, faites demi-tour un peu, c’était joli par là ». Naviguer avec un photographe fait travailler les bras.
Avant d’arriver à La Malène, on entend une chute d’eau un peu plus loin. Un bruit de dingue. Je pagaie en arrière pour m’arrêter : « Euh, vous êtes surs là les gars ? » « Non non mais je pense que c’est juste un petit escalier pour stopper l’eau, ça doit faire 2 m, pas plus. » « 2 mètres ?!!! » « Allez, on y va, de toute façon si on tombe, on est arrivés. » Génial. Antonin se lance en premier, et je vois son bras levé, pousse en l’air, en contrebas « c’est bon ça passe ! ». Bon… On se penche bien en arrière, et ça passe !
Retour à La Malène, fin de l’aventure. On remonte machinalement les vélos, on dégonfle les packrafts, on enfile les doudounes et les bonnets. Sur le chemin du retour, la radio annonce les dernières mesures. Juste à temps. Un grand bol d’air frais avant d’entrer dans un nouveau tunnel.
Merci à Komoot et Mekong pour le soutien. Les parcours sont disponibles sur Komoot
Texte : Louise Roussel
Photos : Antonin @ahstudiofilmmakers